Faut-il libérer Charlotte, Amandine et Chérie ?

jeudi 25 mai 2006.par Philippe Ladame
 
Alors que la question du droit de propriété sur le vivant fait débat, la France a décidé d’adhérer à l’accord portant révision de la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales.

Dans un article du 25/05/06, Ouest-France signale les lourdes amendes infligées à des agriculteurs pour avoir cultivé des pommes de terre "Charlotte" sans autorisation.

« À Quimper, Éric Bargy, le patron de Germicopa, société spécialisée dans la création de variétés de pommes de terre, a décidé de mener la vie dure aux producteurs qui, dans le huis clos de leur ferme, se livrent à la contrefaçon de ses variétés protégées. La bataille fait rage, par avocats interposés, avec une quinzaine de contentieux, » explique le journal.

Mais le problème n’est pas seulement breton. En février et en mars 2006, le Tribunal de grande instance de Paris a condamné des producteurs champenois, coupables de contrefaçon, à verser aux firmes propriétaires des variétés plusieurs dizaines de milliers d’euros de dommages et intérêts.

En effet, la loi autorise tout agriculteur et tout jardinier amateur à multiplier ses pommes de terre, à la ferme ou au potager s’il s’agit de variétés anciennes, telles la Bintje, appartenant au domaine public. En revanche, elle interdit la reproduction libre des variétés d’obtention plus récente, protégées par le droit français et propriété des firmes privées. « Dans le cas de la Charlotte, par exemple, seule Germicopa est habilitée à en planifier la reproduction par un réseau de producteurs de plants agréés sous contrat. Seule Germicopa en assure la commercialisation et perçoit des royalties sur chaque kilo vendu, » explique Ouest-France.

Cette appropriation est-elle légitime ?
- Oui, répondent certains qui estiment qu’elle est indispensable pour permettre le financement des recherches de nouvelles variétés.
- Non, soutiennent d’autres qui y voient le risque d’un appauvrissement global de la biodiversité.

En février 2006, Jean Glavany, ancien ministre socialiste de l’agriculture, présentait à l’Assemblée un rapport intéressant à l’occasion du débat sur la ratification de la révision de la convention internationale pour la protection des obtentions végétales.

Cette convention, qui date de 1961, fonde le certificat d’obtention végétale qui constitue un titre de propriété accordé pour une durée déterminée et qui confère à son détenteur un droit exclusif sur l’exploitation commerciale de la variété protégée.

Pour Jean Glavany, ce dispositif est « une alternative au droit des brevets utilisé et défendu par les Etats-Unis. » En effet, contrairement à celui-ci, il reconnaît une "exception du sélectionneur", c’est à dire qu’il ne s’oppose pas à l’utilisation de la variété protégée par les tiers, si c’est dans le but de trouver de nouvelles variétés ou d’en améliorer les caractéristiques.

En revanche la Convention de 1961 ne prévoyait pas "d’exception de l’agriculteur", laissant ainsi en suspens la question des "semences de ferme" (réutilisation de graines de l’année par l’agriculteur l’année suivante). Il en est résulté des variations importantes d’un pays à l’autre. Ainsi, certains Etats, comme la France, ont considéré interdite la pratique des semences de ferme en dehors des usages destinés à l’autoconsommation, d’autres, comme le Royaume-Uni, ont estimé que seul l’écoulement commercial des semences était prohibé, ce qui autorisait leur usage par les agriculteurs pour réensemencer.

La révision de 1991 de la Convention, dont la ratification a été décidée le 3 mars 2006, ne clarifie que peu ce dernier aspect, prévoyant seulement la possibilité d’exclure du droit d’obtenteur ces semences de ferme « dans des limites raisonnables, et sous réserve des intérêts légitimes de l’obtenteur ».

Par cette formulation vague, la Convention introduit un espace d’incertitude et de négociation sur le montant des redevances et les cas d’exemption. Certainement préférable (et opposable) à la brevetabilité "à l’américaine", elle n’en demeure pas moins plutôt favorable aux grands semenciers et nécessite, pour le moins, la mise en place de garde-fous.

IMPRIMER


Dernières brèves